La cérémonie du Lauréat a eu lieu au Congrès Européen de la Population à Budapest, le Samedi 28 Juin 2014 

 

Membre active de l’UIESP depuis 1965, Thérèse Locoh a été élue Lauréate 2014 de l’UIESP pour ses importantes contributions à la recherche démographique sur la famille, la fécondité et le genre en Afrique. Elle fut la toute première dans le monde de la démographie francophone à percevoir l’importance des relations de genre dans les comportements démographiques. En tant que membre de la Commission scientifique de l’UIESP sur l’Analyse comparée de la fécondité, elle a participé à l’organisation du colloque de Harare (1991) dont elle a édité, avec Véronique Hertrich, une sélection des meilleures communications dans The onset of fertility transition in Sub-Saharan Africa (OE, 1994). Elle a également joué un rôle clef pour les études de population en Afrique francophone en participant activement à la création de l’Unité de recherche démographique (URD) à l’Université du Bénin, à Lomé, en 1975, puis de l’Union pour l’étude de la population africaine (UEPA). En France, elle a travaillé principalement pour le Centre français sur la population et le développement (CEPED) et pour l’Institut national d'études démographiques (INED). Thérèse Locoh a pris sa retraite en 2003 mais poursuit ses travaux de recherche et ses publications et sert en tant que conseillère scientifique de l'URD et en tant que membre de la commission scientifique "Culture, genre et développement" de l’UEPA.

 

 

Pour un aperçu plus complet des contributions de Thérèse Locoh à la recherche démographique veuillez lire la lettre de nomination ci-dessous.






Thérèse Locoh. Lettre de nomination par Jacques Vallin

 

Psycho-sociologue passionnée des questions de population, Thérèse Locoh est, dans le champ de la démographie francophone,  la première femme à avoir acquis une notoriété internationale de premier plan. Elle a fait bénéficier la recherche démographique française de son rayonnement dans deux domaines majeurs : l’étude des populations africaines et celle des relations de genre.

 

Diplômée de l’Institut de psychologie de Paris, Expert-démographe et Docteur en démographie, elle a rapidement su convaincre ses collègues de l’INED, au premier rang desquels des polytechniciens de grand renom (Alfred Sauvy, Louis Henry, Jean Bourgeois-Pichat, etc.) soucieux de hisser la démographie au rang des sciences « dures », que la recherche démographique avait au contraire tout à gagner à prendre en meilleure part l’apport de sciences dites « molles » comme la psychologie et la sociologie. Désireuse, en effet, de mieux maîtriser la matière de ses premiers travaux sociologiques en se formant aux analyses quantitatives à travers la démographie, elle avait en réalité appris tout ce que l’approche qualitative peut réellement apporter à des mesures quantitatives tout aussi réductrices que fondamentales, que ce soit dans la formulation des hypothèses et questionnements de recherche ou dans l’élaboration de systèmes explicatifs.

 

Les premières applications de sa démarche interdisciplinaire ont porté sur les conditions de vie des ruraux âgés. Cependant, peu après son entrée à l’INED, Thérèse Locoh, appelée à enseigner à l’Université du Bénin à Lomé, découvrait et l’Afrique et la grande pauvreté de la recherche démographique francophone sur ce continent. Celle-ci se résumait peu ou prou à la collecte de données quantitatives (recensements et enquêtes), que conduisaient des services statistiques peu soucieux de questionnement scientifique et se gardant bien de fournir le moindre grain à moudre aux rares universitaires qui auraient eu la velléité de former des étudiants à la recherche démographique. Le premier souci de Thérèse Locoh fut donc de créer  au sein de l’Université du Bénin l’Unité de recherche démographique (URD), ce pourquoi elle obtint rapidement des autorités compétentes un soutien sans réserve… mais sans crédits. Restait donc à obtenir les moyens. Plaidant sans relâche la cause de la recherche et munie de la certitude de pouvoir faire beaucoup avec peu si l’on mixe convenablement les approches qualitatives et quantitatives, elle a réussi à convaincre différents bailleurs de fonds internationaux et à mettre ainsi sur les rails ce qui, pour deux décennies au moins, est devenu l’institution phare de la recherche démographique en Afrique francophone. Mais cela ne suffisait pas, Thérèse Locoh a aussi créé et longtemps animé le Réseau interuniversitaire africain pour le développement de l’étude de la population (RIADEP), afin d’aider les autres universités d’Afrique francophone à former leurs étudiants à la recherche dans ce domaine crucial pour le continent. De retour à l’INED, Thérèse Locoh a souhaité rejoindre le Centre français sur la population et le développement (CEPED) d’où elle a pu poursuivre et amplifier son action de partenariat avec nombre d’institutions africaines. Ce faisant Thérèse Locoh a joué un rôle clé dans l’amélioration de notre compréhension des évolutions démographiques africaines. Elle s’est tout particulièrement attachée à découvrir les raisons de la baisse tardive de la fécondité, en confrontant l’évolution de cette dernière à celles des structures familiales et de la condition de la femme (non-nucléarisation, faiblesse du couple, nuptialité précoce, polygamie, etc.), mais aussi les ressorts de la baisse récente parfois beaucoup plus rapide que prévue, en mettant en évidence les relations paradoxales de la fécondité avec le développement : plus que le progrès socio-économique des années 1960 et 1970, la paupérisation des années 1980 et 1990 en a été la clé.

 

Plus tard, cette même réflexion sur l’importance de la condition de la femme dans les questions de population a finalement conduit Thérèse Locoh à embrasser une nouvelle cause, celle de la recherche sur les relations de genre. Bien qu’assez réservée par rapport à certaines initiatives extrémistes de ses collègues féministes, elle fut la toute première dans le monde de la démographie francophone à prendre au sérieux les nouvelles thèses venues d’Amérique du Nord et de Scandinavie sur l’importance des relations de genre dans l’évolution des comportements démographiques. Avec la patience et la force de persuasion qui la caractérisent, Thérèse Locoh a finalement obtenu que cette question, qui au début n’attirait guère que sourires entendus des chercheurs de l’INED, soit désormais au premier plan des préoccupations de cette institution avec la création en 1998 de l’unité de recherche Genre démographie et sociétés, qu’elle a dirigée jusqu’à sa retraite. Dépassant l’asymétrie du féminisme, le genre (sexe socialement construit) prend comme un tout indissociable la relation homme/femme dont il importe de mesurer l’influence sur les comportements démographiques (fécondité, santé et mortalité, mise en couple et constitution des familles, migrations individuelles ou familiales). Grâce aux projets lancés à l’INED par Thérèse Locoh, la démographie française et, en jonction avec ses collègues canadiennes, l’ensemble de la communauté scientifique francophone sont désormais au plus haut niveau international sur ce thème.    

 

Excellente pédagogue, Thérèse Locoh a été appelée à enseigner dans nombre d’universités françaises ou étrangères (et pas seulement en Afrique) et elle est sans doute de tous les chercheurs de l’INED celle qui a dirigé et réellement formé le plus grand nombre de doctorants. Avocate infatigable de ses deux grandes passions, l’Afrique et le genre, elle a parcouru le monde, de colloques scientifiques en partenariats internationaux, avec à l’appui, une œuvre impressionnante d’ouvrages et articles scientifiques qui font et feront encore longtemps référence.

 

Thérèse Locoh a aussi contribué à l’édition scientifique. Elle a fondé à Lomé,  les Études togolaises de population.  De retour à Paris elle a été rédactrice en chef des Études du CEPED et membre des comités de rédaction de Politique africaine et d’Études de la population africaine, sans oublier les nombreux ouvrages collectifs qu’elle a personnellement édités ou dirigés).

 

Enfin, au-delà du travail scientifique, elle a toujours pris sa part de responsabilités collectives à l’INED comme en dehors de l’INED, que ce soit à travers des fonctions électives (commission d’évaluation des chercheurs de l’INED), institutionnelles (Conseil scientifique de l’Institut français de recherche en Afrique, IFRA ; Conseil scientifique de l’Institut du Sahel), internationales (projets du Fond des Nations unies pour la population, FNUAP), sans oublier ses contributions à la vie des grandes associations internationales de démographie (Union pour l’étude de la population africaine, UEPA ; European Association for Population Studies, EAPS ; Association internationale des démographes de langue française (AIDELF), et, bien sûr l’UIESP) pour lesquelles elle a organisé d’importants colloques (comme celui d’Abidjan en 2001) ou animé des commissions scientifiques spécialisées.

 

Membre de l’UIESP depuis 1965, sans discontinuité, Thérèse Locoh n’a pas ménagé sa peine pour faire bénéficier l’association de ses compétences dans les domaines de la famille, de la fécondité et, finalement, du genre, enrichies des leçons de son expérience africaine. Avec

ses collègues africains, elle a beaucoup œuvré pour la création de l’Union pour l’étude de la population africaine (UEPA), en bonne harmonie avec l’UIESP, à la suite du congrès régional d’Accra (1971). Ces efforts ont conduit à la tenue à Dakar en 1988 d’un deuxième Congrès africain de population co-organisé par l’UEPA et l’UIESP. Membre de la Commission scientifique de l’Union sur l’Analyse comparée de la fécondité, présidée par Hilary Page, elle a participé à l’organisation du colloque de Harare (1991) dont elle a édité, avec Véronique Hertrich, une sélection des meilleures communications dans The onset of fertility transition in Sub-Saharan Africa (OE, 1994). L’ouvrage a eu un grand succès. Pour le Congrès mondial de l’Union de 2001 à Salvador de Bahia, elle a organisé, avec Maria-Eugenia Cosio-Zavala, trois séances sur le genre. Sur ce même sujet, le Conseil de l’UIESP lui a commandé, cette même année, un rapport sur les activités à promouvoir en matière de genre au sein de l’Union. Le rapport qu’elle a remis en 2002 soulignait que si la notion de genre était de plus en plus prise en considération dans les études démographiques, elle méritait de continuer à faire l’objet d’une attention particulière pour quelques années encore avant que les relations de genre entrent dans le champ des analyses démographiques chaque fois qu’elles peuvent leur être utiles. Ce rapport a servi de fondement à la mise en place d’une nouvelle commission scientifique de l’Union sur le thème.   

 

En tant que directrice de recherche de première classe, Thérèse Locoh a pris sa retraite en 2003, mais reste très active à l’INED et au-delà. Elle continue de collaborer au programme de recherche de l’unité Genre démographie et sociétés et développe encore une importante activité d’édition scientifique, non seulement comme membre du Comité de rédaction des collections de l’INED, mais aussi comme co-rédactrice de la revue Travail, genre et sociétés dont elle à notamment coordonné le dossier d’avril 2011 « Sud-exploitées ». Et son rayonnement international reste vif, notamment en tant que conseillère scientifique de l'URD et membre de la commission scientifique "Culture, genre et développement" de l'Union pour l'étude de la population africaine (UEPA).

 

Événement rare à l’INED, après son départ à la retraite, déjà célébrée par la publication d’un article dans Travail, genre et société (Féminisme et développement : le regard d’une démographe), Thérèse Locoh a été honorée par un imposant ouvrage « Du genre et de l’Afrique, hommage à Thérèse Locoh » (INED, 2009) dont le nombre et la qualité des contributeurs témoignent de son charisme exceptionnel. 

 

Pour toutes ces raisons, nous recommandons vivement que le prix 2014 de l’UIESP soit attribué à Thérèse Locoh.

 

Fait à Paris, le 30 octobre 2013

 

Jacques Vallin (France)